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LES ROUGON-MACQUART.

Justement, Lénore et Henri, qui rentraient, arrivaient les mains vides. Un monsieur leur avait bien donné deux sous ; mais, comme la sœur allongeait toujours des coups de pied au petit frère, les deux sous étaient tombés dans la neige ; et, Jeanlin s’étant mis à les chercher avec eux, on ne les avait plus retrouvés.

— Où est-il, Jeanlin ?

— Maman, il a filé, il a dit qu’il avait des affaires.

Étienne écoutait, le cœur fendu. Jadis, elle menaçait de les tuer, s’ils tendaient jamais la main. Aujourd’hui, elle les envoyait elle-même sur les routes, elle parlait d’y aller tous, les dix mille charbonniers de Montsou, prenant le bâton et la besace des vieux pauvres, battant le pays épouvanté.

Alors, l’angoisse grandit encore, dans la pièce noire. Les mioches rentraient avec la faim, ils voulaient manger, pourquoi ne mangeait-on pas ? et ils grognèrent, se traînèrent, finirent par écraser les pieds de leur sœur mourante, qui eut un gémissement. Hors d’elle, la mère les gifla, au hasard des ténèbres. Puis, comme ils criaient plus fort en demandant du pain, elle fondit en larmes, tomba assise sur le carreau, les saisit d’une seule étreinte, eux et la petite infirme ; et, longuement, ses pleurs coulèrent, dans une détente nerveuse qui la laissait molle, anéantie, bégayant à vingt reprises la même phrase, appelant la mort : « Mon Dieu, pourquoi ne nous prenez-vous pas ? mon Dieu, prenez-nous par pitié, pour en finir ! » Le grand-père gardait son immobilité de vieil arbre tordu sous la pluie et le vent, tandis que le père marchait de la cheminée au buffet, sans tourner la tête.

Mais la porte s’ouvrit, et cette fois c’était le docteur Vanderhaghen.

— Diable ! dit-il, la chandelle ne vous abîmera pas la vue… Dépêchons, je suis pressé.