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LES ROUGON-MACQUART.

de toute cette misère secouée au vent. Malgré le tourment des ténèbres, il en arriverait à redouter l’heure où il rentrerait au coron. Quelle nausée, ces misérables en tas, vivant au baquet commun ! Pas un avec qui causer politique sérieusement, une existence de bétail, toujours le même air empesté d’oignon où l’on étouffait ! Il voulait leur élargir le ciel, les élever au bien-être et aux bonnes manières de la bourgeoisie, en faisant d’eux les maîtres ; mais comme ce serait long ! et il ne se sentait plus le courage d’attendre la victoire, dans ce bagne de la faim. Lentement, sa vanité d’être leur chef, sa préoccupation constante de penser à leur place, le dégageaient, lui soufflaient l’âme d’un de ces bourgeois qu’il exécrait.

Jeanlin, un soir, apporta un bout de chandelle, volé dans la lanterne d’un roulier ; et ce fut un grand soulagement pour Étienne. Lorsque les ténèbres finissaient par l’hébéter, par lui peser sur le crâne à le rendre fou, il allumait un instant ; puis, dès qu’il avait chassé le cauchemar, il éteignait, avare de cette clarté nécessaire à sa vie, autant que le pain. Le silence bourdonnait à ses oreilles, il n’entendait que la fuite d’une bande de rats, le craquement des vieux boisages, le petit bruit d’une araignée filant sa toile. Et les yeux ouverts dans ce néant tiède, il retournait à son idée fixe, à ce que les camarades faisaient là haut. Une défection de sa part lui aurait paru la dernière des lâchetés. S’il se cachait ainsi, c’était pour rester libre, pour conseiller et agir. Ses longues songeries avaient fixé son ambition : en attendant mieux, il aurait voulu être Pluchart, lâcher le travail, travailler uniquement à la politique, mais seul, dans une chambre propre, sous le prétexte que les travaux de tête absorbent la vie entière et demandent beaucoup de calme.

Au commencement de la seconde semaine, l’enfant lui ayant dit que les gendarmes le croyaient passé en Bel-