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GERMINAL.

se contentait, à la Direction, de dresser des listes de renvoi, on rendait les livrets en masse : Maheu avait reçu le sien, Levaque aussi, de même que trente-quatre de leurs camarades, au seul coron des Deux-Cent-Quarante. Et toute la sévérité retombait sur Étienne, disparu depuis le soir de la bagarre, et qu’on cherchait, sans pouvoir retrouver sa trace. Chaval, dans sa haine, l’avait dénoncé, en refusant de nommer les autres, supplié par Catherine qui voulait sauver ses parents. Les jours se passaient, on sentait que rien n’était fini, on attendait la fin, la poitrine oppressée d’un malaise.

À Montsou, dès lors, les bourgeois s’éveillèrent en sursaut chaque nuit, les oreilles bourdonnantes d’un tocsin imaginaire, les narines hantées d’une puanteur de poudre. Mais ce qui acheva de leur fêler le crâne, ce fut un prône de leur nouveau curé, l’abbé Ranvier, ce prêtre maigre aux yeux de braise rouge, qui succédait à l’abbé Joire. Comme on était loin de la discrétion souriante de celui-ci, de son unique soin d’homme gras et doux à vivre en paix avec tout le monde ! Est-ce que l’abbé Ranvier ne s’était pas permis de prendre la défense des abominables brigands en train de déshonorer la région ? Il trouvait des excuses aux scélératesses des grévistes, il attaquait violemment la bourgeoisie, sur laquelle il rejetait toutes les responsabilités. C’était la bourgeoisie qui, en dépossédant l’Église de ses libertés antiques pour en mésuser elle-même, avait fait de ce monde un lieu maudit d’injustice et de souffrance ; c’était elle qui prolongeait les malentendus, qui poussait à une catastrophe effroyable, par son athéisme, par son refus d’en revenir aux croyances, aux traditions fraternelles des premiers chrétiens. Et il avait osé menacer les riches, il les avait avertis que, s’ils s’entêtaient davantage à ne pas écouter la voix de Dieu, sûrement Dieu se mettrait du côté des pauvres : il reprendrait leurs fortunes aux jouisseurs