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LES ROUGON-MACQUART.

grève s’était aggravée : Crèvecœur, Mirou, Madeleine arrêtaient l’extraction, comme le Voreux ; Feutry-Cantel et la Victoire perdaient de leur monde chaque matin ; à Saint-Thomas, jusque-là indemne, des hommes manquaient. C’était maintenant une obstination muette, en face de ce déploiement de force, dont s’exaspérait l’orgueil des mineurs. Les corons semblaient déserts, au milieu des champs de betteraves. Pas un ouvrier ne bougeait, à peine en rencontrait-on un par hasard, isolé, le regard oblique, baissant la tête devant les pantalons rouges. Et, sous cette grande paix morne, dans cet entêtement passif, se butant contre les fusils, il y avait la douceur menteuse, l’obéissance forcée et patiente des fauves en cage, les yeux sur le dompteur, prêts à lui manger la nuque, s’il tournait le dos. La Compagnie, que cette mort du travail ruinait, parlait d’embaucher des mineurs du Borinage, à la frontière belge ; mais elle n’osait point ; de sorte que la bataille en restait là, entre les charbonniers qui s’enfermaient chez eux, et les fosses mortes, gardées par la troupe.

Dès le lendemain de la journée terrible, cette paix s’était produite, d’un coup, cachant une panique telle, qu’on faisait le plus de silence possible sur les dégâts et les atrocités. L’enquête ouverte établissait que Maigrat était mort de sa chute, et l’affreuse mutilation du cadavre demeurait vague, entourée déjà d’une légende. De son côté, la Compagnie n’avouait pas les dommages soufferts, pas plus que les Grégoire ne se souciaient de compromettre leur fille dans le scandale d’un procès, où elle devrait témoigner. Cependant, quelques arrestations avaient eu lieu, des comparses comme toujours, imbéciles et ahuris, ne sachant rien. Par erreur, Pierron était allé, les menottes aux poignets, jusqu’à Marchiennes, ce dont les camarades riaient encore. Rasseneur, également, avait failli être emmené entre deux gendarmes. On