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LES ROUGON-MACQUART.

Personne, du reste, n’obéissait plus à Étienne. Les pierres, malgré ses ordres, continuaient à grêler, et il s’étonnait, il s’effarait devant ces brutes démuselées par lui, si lentes à s’émouvoir, terribles ensuite, d’une ténacité féroce dans la colère. Tout le vieux sang flamand était là, lourd et placide, mettant des mois à s’échauffer, se jetant aux sauvageries abominables, sans rien entendre, jusqu’à ce que la bête fût soûle d’atrocités. Dans son midi, les foules flambaient plus vite, seulement elles faisaient moins de besogne. Il dut se battre avec Levaque pour lui arracher sa hache, il en était à ne savoir comment contenir les Maheu, qui lançaient les cailloux des deux mains. Et les femmes surtout l’effrayaient, la Levaque, la Mouquette et les autres, agitées d’une fureur meurtrière, les dents et les ongles dehors, aboyantes comme des chiennes, sous les excitations de la Brûlé, qui les dominait de sa taille maigre.

Mais il y eut un brusque arrêt, la surprise d’une minute déterminait un peu du calme que les supplications d’Étienne ne pouvaient obtenir. C’étaient simplement les Grégoire qui se décidaient à prendre congé du notaire, pour se rendre en face, chez le directeur ; et ils semblaient si paisibles, ils avaient si bien l’air de croire à une pure plaisanterie de la part de leurs braves mineurs, dont la résignation les nourrissait depuis un siècle, que ceux-ci, étonnés, avaient en effet cessé de jeter des pierres, de peur d’atteindre ce vieux monsieur et cette vieille dame, tombés du ciel. Ils les laissèrent entrer dans le jardin, monter le perron, sonner à la porte barricadée, qu’on ne se pressait pas de leur ouvrir. Justement, la femme de chambre, Rose, rentrait de sa sortie, en riant aux ouvriers furieux, qu’elle connaissait tous, car elle était de Montsou. Et ce fut elle qui, à coups de poing dans la porte, finit par forcer Hippolyte à l’entrebâiller. Il était temps, les