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GERMINAL.

mes, presque tous du coron des Deux-Cent-Quarante, restés chez eux le matin et venus le soir aux nouvelles, avaient envahi cet estaminet, à l’approche des grévistes. Zacharie occupait une table avec sa femme Philomène. Plus loin, Pierron et la Pierronne, tournant le dos, se cachaient le visage. D’ailleurs, personne ne buvait, on s’était abrité, simplement.

Étienne reconnut Rasseneur, et il s’écartait, lorsque celui-ci ajouta :

— Ma vue te gêne, n’est-ce pas ?… Je t’avais prévenu, les embêtements commencent. Maintenant, vous pouvez réclamer du pain, c’est du plomb qu’on vous donnera.

Alors, il revint, il répondit :

— Ce qui me gêne, ce sont les lâches qui, les bras croisés, nous regardent risquer notre peau.

— Ton idée est donc de piller en face ? demanda Rasseneur.

— Mon idée est de rester jusqu’au bout avec les amis, quittes à crever tous ensemble.

Désespéré, Étienne rentra dans la foule, prêt à mourir. Sur la route, trois enfants lançaient des pierres, et il leur allongea un grand coup de pied, en criant, pour arrêter les camarades, que ça n’avançait à rien de casser des vitres.

Bébert et Lydie, qui venaient de rejoindre Jeanlin, apprenaient de ce dernier à manier sa fronde. Ils lançaient chacun un caillou, jouant à qui ferait le plus gros dégât. Lydie, par un coup de maladresse, avait fêlé la tête d’une femme, dans la cohue ; et les deux garçons se tenaient les côtes. Derrière eux, Bonnemort et Mouque, assis sur un banc, les regardaient. Les jambes enflées de Bonnemort le portaient si mal, qu’il avait eu grand’peine à se traîner jusque-là, sans qu’on sût quelle curiosité le poussait, car il avait son visage terreux des jours où l’on ne pouvait lui tirer une parole.