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LES ROUGON-MACQUART.

obéissaient, libre de sa chair, assez goujat pour gifler sa femme et prendre du plaisir sur les voisines. Et il souhaitait aussi de crever la faim, d’avoir le ventre vide, l’estomac tordu de crampes ébranlant le cerveau d’un vertige : peut-être cela aurait-il tué l’éternelle douleur. Ah ! vivre en brute, ne rien posséder à soi, battre les blés avec la herscheuse la plus laide, la plus sale, et être capable de s’en contenter !

— Du pain ! du pain ! du pain !

Alors, il se fâcha, il cria furieusement dans le vacarme :

— Du pain ! est-ce que ça suffit, imbéciles ?

Il mangeait, lui, et il n’en râlait pas moins de souffrance. Son ménage ravagé, sa vie entière endolorie, lui remontaient à la gorge, en un hoquet de mort. Tout n’allait pas pour le mieux parce qu’on avait du pain. Quel était l’idiot qui mettait le bonheur de ce monde dans le partage de la richesse ? Ces songe-creux de révolutionnaires pouvaient bien démolir la société et en rebâtir une autre, ils n’ajouteraient pas une joie à l’humanité, ils ne lui retireraient pas une peine, en coupant à chacun sa tartine. Même ils élargiraient le malheur de la terre, ils feraient un jour hurler jusqu’aux chiens de désespoir, lorsqu’ils les auraient sortis de la tranquille satisfaction des instincts, pour les hausser à la souffrance inassouvie des passions. Non, le seul bien était de ne pas être, et, si l’on était, d’être l’arbre, d’être la pierre, moins encore, le grain de sable, qui ne peut saigner sous le talon des passants.

Et, dans cette exaspération de son tourment, des larmes gonflèrent les yeux de M. Hennebeau, crevèrent en gouttes brûlantes le long de ses joues. Le crépuscule noyait la route, lorsque des pierres commencèrent à cribler la façade de l’hôtel. Sans colère maintenant contre ces affamés, enragé seulement par la plaie cuisante