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GERMINAL.

pas, son esprit était demeuré là-haut, dans la chambre. Enfin, il les congédia, il dit qu’il allait prendre des mesures. Lorsqu’il se retrouva seul, assis devant son bureau, il parut s’y assoupir, la tête entre les mains, les yeux couverts. Son courrier était là, il se décida à y chercher la lettre attendue, la réponse de la Régie, dont les lignes dansèrent d’abord. Pourtant, il finit par comprendre que ces messieurs souhaitaient quelque bagarre : certes, ils ne lui commandaient pas d’empirer les choses ; mais ils laissaient percer que des troubles hâteraient le dénouement de la grève, en provoquant une répression énergique. Dès lors, il n’hésita plus, il lança des dépêches de tous côtés, au préfet de Lille, au corps de troupe de Douai, à la gendarmerie de Marchiennes. C’était un soulagement, il n’avait qu’à s’enfermer, même il fit répandre la rumeur qu’il souffrait de la goutte. Et, toute l’après-midi, il se cacha au fond de son cabinet, ne recevant personne, se contentant de lire les dépêches et les lettres qui continuaient de pleuvoir. Il suivit ainsi de loin la bande, de Madeleine à Crèvecœur, de Crèvecœur à la Victoire, de la Victoire à Gaston-Marie. D’autre part, des renseignements lui arrivaient sur l’effarement des gendarmes et des dragons, égarés en route, tournant sans cesse le dos aux fosses attaquées. On pouvait s’égorger et tout détruire, il avait remis la tête entre ses mains, les doigts sur les yeux, et il s’abîmait dans le grand silence de la maison vide, où il ne surprenait, par moments, que le bruit des casseroles de la cuisinière, en plein coup de feu, pour son dîner du soir.

Le crépuscule assombrissait déjà la pièce, il était cinq heures, lorsqu’un vacarme fit sursauter M. Hennebeau, étourdi, inerte, les coudes toujours dans ses papiers. Il pensa que les deux misérables rentraient. Mais le tumulte augmentait, un cri éclata, terrible, à l’instant où il s’approchait de la fenêtre.