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LES ROUGON-MACQUART.

lui jeta au visage une poignée de crottin, trouvée fraîche sur la route. Son vieux tricot ne tenait plus, en lambeaux. Et, hagard, il butait, il donnait des coups d’échine pour fuir.

Maheu l’avait poussé, la Maheude était parmi celles qui s’acharnaient, satisfaisant tous les deux leur rancune ancienne ; et la Mouquette elle-même, qui restait d’ordinaire la bonne camarade de ses galants, s’enrageait après celui-là, le traitait de bon à rien, parlait de le déculotter, pour voir s’il était encore un homme.

Étienne la fit taire.

— En voilà assez ! Il n’y a pas besoin de s’y mettre tous… Si tu veux, toi, nous allons vider ça ensemble.

Ses poings se fermaient, ses yeux s’allumaient d’une fureur homicide, l’ivresse se tournait chez lui en un besoin de tuer.

— Es-tu prêt ? Il faut que l’un de nous deux y reste… Donnez-lui un couteau. J’ai le mien.

Catherine, épuisée, épouvantée, le regardait. Elle se souvenait de ses confidences, de son envie de manger un homme, lorsqu’il buvait, empoisonné dès le troisième verre, tellement ses soûlards de parents lui avaient mis de cette saleté dans le corps. Brusquement, elle s’élança, le souffleta de ses deux mains de femme, lui cria sous le nez, étranglée d’indignation :

— Lâche ! lâche ! lâche !… Ce n’est donc pas de trop, toutes ces abominations ? Tu veux l’assassiner, maintenant qu’il ne tient plus debout !

Elle se tourna vers son père et sa mère, elle se tourna vers les autres.

— Vous êtes des lâches ! des lâches !… Tuez-moi donc avec lui. Je vous saute à la figure, moi ! si vous le touchez encore. Oh ! les lâches !

Et elle s’était plantée devant son homme, elle le défendait, oubliant les coups, oubliant la vie de misère, sou-