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LES ROUGON-MACQUART.

potager et son verger dénudés par l’hiver. Rien ne bougeait dans la maison, dont les fenêtres closes se ternissaient de la chaude buée intérieure ; et, du profond silence, sortait une impression de bonhomie et de bien-être, la sensation patriarcale des bons lits et de la bonne table, du bonheur sage, où coulait l’existence des propriétaires.

Sans s’arrêter, la bande jetait des regards sombres à travers les grilles, le long des murs protecteurs, hérissés de culs de bouteilles. Le cri recommença :

— Du pain ! du pain ! du pain !

Seuls les chiens répondirent par des abois féroces, une paire de grands danois au poil fauve, qui se dressaient debout, la gueule ouverte. Et, derrière une persienne fermée, il n’y avait que les deux bonnes, Mélanie, la cuisinière, et Honorine, la femme de chambre, attirées par ce cri, suant la peur, toutes pâles de voir défiler ces sauvages. Elles tombèrent à genoux, elles se crurent mortes, en entendant une pierre, une seule, qui cassait un carreau d’une fenêtre voisine. C’était une farce de Jeanlin : il avait fabriqué une fronde avec un bout de corde, il laissait en passant un petit bonjour aux Grégoire. Déjà, il s’était remis à souffler dans sa corne, la bande se perdait au loin, avec le cri affaibli :

— Du pain ! du pain ! du pain !

On arriva à Gaston-Marie, en une masse grossie encore, plus de deux mille cinq cents forcenés, brisant tout, balayant tout, avec la force accrue du torrent qui roule. Des gendarmes y avaient passé une heure plus tôt, et s’en étaient allés du côté de Saint-Thomas, égarés par des paysans, sans même avoir la précaution, dans leur hâte, de laisser un poste de quelques hommes, pour garder la fosse. En moins d’un quart d’heure, les feux furent renversés, les chaudières vidées, les bâtiments envahis et dévastés. Mais c’était surtout la pompe