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LES ROUGON-MACQUART.

l’air, devant les hommes qui riaient. Les galibots recevaient des gifles, des haveurs se sauvèrent, les côtes bleues de coups, le nez en sang. Et, dans cette férocité croissante, dans cet ancien besoin de revanche dont la folie détraquait toutes les têtes, les cris continuaient, s’étranglaient, la mort des traîtres, la haine du travail mal payé, le rugissement du ventre voulant du pain. On se mit à couper les câbles, mais la lime ne mordait pas, c’était trop long, maintenant qu’on avait la fièvre d’aller en avant, toujours en avant. Aux chaudières, un robinet fut cassé ; tandis que l’eau, jetée à pleins seaux dans les foyers, faisait éclater les grilles de fonte.

Dehors, on parla de marcher sur Saint-Thomas. Cette fosse était la mieux disciplinée, la grève ne l’avait pas atteinte, près de sept cents hommes devaient y être descendus ; et cela exaspérait, on les attendrait à coups de trique, en bataille rangée, pour voir un peu qui resterait par terre. Mais la rumeur courut qu’il y avait des gendarmes à Saint-Thomas, les gendarmes du matin, dont on s’était moqué. Comment le savait-on ? personne ne pouvait le dire. N’importe ! la peur les prenait, ils se décidèrent pour Feutry-Cantel. Et le vertige les remporta, tous se retrouvèrent sur la route, claquant des sabots, se ruant : à Feutry-Cantel ! à Feutry-Cantel ! les lâches y étaient bien encore quatre cents, on allait rire ! Située à trois kilomètres, la fosse se cachait dans un pli de terrain, près de la Scarpe. Déjà, l’on montait la pente des Plâtrières, au delà du chemin de Beaugnies, lorsqu’une voix, demeurée inconnue, lança l’idée que les dragons étaient peut-être là-bas, à Feutry-Cantel. Alors, d’un bout à l’autre de la colonne, on répéta que les dragons y étaient. Une hésitation ralentit la marche, la panique peu à peu soufflait, dans ce pays endormi par le chômage, qu’ils battaient depuis des heures. Pourquoi n’avaient-ils pas buté contre des sol-