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LES ROUGON-MACQUART.

sa fille, il s’enrageait comme sa femme à lui reprocher sa conduite, tous les deux perdant la tête, criant plus fort que les camarades.

La vue de Catherine avait achevé d’exaspérer Étienne. Il répétait :

— En route ! aux autres fosses ! et tu viens avec nous, sale cochon !

Chaval eut à peine le temps de reprendre ses sabots à la baraque, et de jeter son tricot de laine sur ses épaules glacées. Tous l’entraînaient, le forçaient à galoper au milieu d’eux. Éperdue, Catherine remettait également ses sabots, boutonnait à son cou la vieille veste d’homme dont elle se couvrait depuis le froid ; et elle courut derrière son galant, elle ne voulait pas le quitter, car on allait le massacrer, bien sûr.

Alors, en deux minutes, Jean-Bart se vida. Jeanlin, qui avait trouvé une corne d’appel, soufflait, poussait des sons rauques, comme s’il avait rassemblé des bœufs. Les femmes, la Brûlé, la Levaque, la Mouquette relevaient leurs jupes pour courir ; tandis que Levaque, une hache à la main, la manœuvrait ainsi qu’une canne de tambour-major. D’autres camarades arrivaient toujours, on était près de mille, sans ordre, coulant de nouveau sur la route en un torrent débordé. La voie de sortie était trop étroite, des palissades furent rompues.

— Aux fosses ! à bas les traîtres ! plus de travail !

Et Jean-Bart tomba brusquement à un grand silence. Pas un homme, pas un souffle. Deneulin sortit de la chambre des porions, et tout seul, défendant du geste qu’on le suivît, il visita la fosse. Il était pâle, très calme. D’abord, il s’arrêta devant le puits, leva les yeux, regarda les câbles coupés : les bouts d’acier pendaient inutiles, la morsure de la lime avait laissé une blessure vive, une plaie fraîche qui luisait dans le noir des graisses. Ensuite, il monta à la machine, en contempla la