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LES ROUGON-MACQUART.

de fonte, très pâle, tandis que sa femme, grandie dans son éternelle robe noire, l’invectivait en paroles tranchantes et polies.

Maheu fut d’avis qu’on devait tenir sa parole. Un pareil rendez-vous était sacré. Cependant, la nuit avait calmé leur fièvre à tous ; lui, maintenant, craignait un malheur ; et il expliquait que leur devoir était de se trouver là-bas, pour maintenir les camarades dans le bon droit. La Maheude approuva d’un signe. Étienne répétait avec complaisance qu’il fallait agir révolutionnairement, sans attenter à la vie des personnes. Avant de partir, il refusa sa part d’un pain, qu’on lui avait donné la veille, avec une bouteille de genièvre ; mais il but coup sur coup trois petits verres, histoire simplement de combattre le froid ; même il en emporta une gourde pleine. Alzire garderait les enfants. Le vieux Bonnemort, les jambes malades d’avoir trop couru la veille, était resté au lit.

On ne s’en alla point ensemble, par prudence. Depuis longtemps, Jeanlin avait disparu. Maheu et la Maheude filèrent de leur côté, obliquant vers Montsou, tandis qu’Étienne se dirigea vers la forêt, où il voulait rejoindre les camarades. En route, il rattrapa une bande de femmes, parmi lesquelles il reconnut la Brûlé et la Levaque : elles mangeaient en marchant des châtaignes que la Mouquette avait apportées, elles en avalaient les pelures pour que ça leur tînt davantage à l’estomac. Mais, dans la forêt, il ne trouva personne, les camarades déjà étaient à Jean-Bart. Alors, il prit sa course, il arriva devant la fosse, au moment où Levaque et une centaine d’autres pénétraient sur le carreau. De partout, des mineurs débouchaient, les Maheu par la grande route, les femmes à travers champs, tous débandés, sans chefs, sans armes, coulant naturellement là, ainsi qu’une eau débordée qui suit les pentes. Étienne aperçut Jeanlin,