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LES ROUGON-MACQUART.

Deneulin arrivait par l’escalier du criblage. Malgré la faible clarté des lanternes, d’un vif regard il embrassa la scène, cette cohue noyée d’ombre, dont il connaissait chaque face, les haveurs, les chargeurs, les moulineurs, les herscheuses, jusqu’aux galibots. Dans la nef, neuve et encore propre, la besogne arrêtée attendait : la machine, sous pression, avait de légers sifflements de vapeur ; les cages demeuraient pendues aux câbles immobiles ; les berlines, abandonnées en route, encombraient les dalles de fonte. On venait de prendre à peine quatre-vingts lampes, les autres flambaient dans la lampisterie. Mais un mot de lui suffirait sans doute, et toute la vie du travail recommencerait.

— Eh bien ! que se passe-t-il donc, mes enfants ? demanda-t-il à pleine voix. Qu’est-ce qui vous fâche ? Expliquez-moi ça, nous allons nous entendre.

D’ordinaire, il se montrait paternel pour ses hommes, tout en exigeant beaucoup de travail. Autoritaire, l’allure brusque, il tâchait d’abord de les conquérir par une bonhomie qui avait des éclats de clairon ; et il se faisait aimer souvent, les ouvriers respectaient surtout en lui l’homme de courage, sans cesse dans les tailles avec eux, le premier au danger, dès qu’un accident épouvantait la fosse. Deux fois, après des coups de grisou, on l’avait descendu, lié par une corde sous les aisselles, lorsque les plus braves reculaient.

— Voyons, reprit-il, vous n’allez pas me faire repentir d’avoir répondu de vous. Vous savez que j’ai refusé un poste de gendarmes… Parlez tranquillement, je vous écoute.

Tous se taisaient maintenant, gênés, s’écartant de lui ; et ce fut Chaval qui finit par dire :

— Voilà, monsieur Deneulin, nous ne pouvons continuer à travailler, il nous faut cinq centimes de plus par berline.