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LES ROUGON-MACQUART.

que le camarade en pût dire si long, sans boire un coup. Mais, sur le tas de bois, Jeanlin menait encore le plus de vacarme, excitant Bébert et Lydie, agitant le panier où Pologne gisait.

La clameur recommença. Étienne goûtait l’ivresse de sa popularité. C’était son pouvoir qu’il tenait, comme matérialisé, dans ces trois mille poitrines dont il faisait d’un mot battre les cœurs. Souvarine, s’il avait daigné venir, aurait applaudi ses idées à mesure qu’il les aurait reconnues, content des progrès anarchiques de son élève, satisfait du programme, sauf l’article sur l’instruction, un reste de niaiserie sentimentale, car la sainte et salutaire ignorance devait être le bain où se retremperaient les hommes. Quant à Rasseneur, il haussait les épaules de dédain et de colère.

— Tu me laisseras parler ! cria-t-il à Étienne.

Celui-ci sauta du tronc d’arbre.

— Parle, nous verrons s’ils t’écoutent.

Déjà Rasseneur l’avait remplacé et réclamait du geste le silence. Le bruit ne se calmait pas, son nom circulait, des premiers rangs qui l’avaient reconnu, aux derniers perdus sous les hêtres ; et l’on refusait de l’entendre, c’était une idole renversée, dont la vue seule fâchait ses anciens fidèles. Son élocution facile, sa parole coulante et bonne enfant, qui avait si longtemps charmé, était traitée à cette heure de tisane tiède, faite pour endormir les lâches. Vainement, il parla dans le bruit, il voulut reprendre le discours d’apaisement qu’il promenait, l’impossibilité de changer le monde à coups de lois, la nécessité de laisser à l’évolution sociale le temps de s’accomplir : on le plaisantait, on le chutait, sa défaite du Bon-Joyeux s’aggravait encore et devenait irrémédiable. On finit par lui jeter des poignées de mousse gelée, une femme cria d’une voix aiguë :

— À bas le traître !