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GERMINAL.

qu’on nous envoie les gendarmes, comme si nous étions des brigands, c’est ici qu’il faut nous entendre ! Ici, nous sommes libres, nous sommes chez nous, personne ne viendra nous faire taire, pas plus qu’on ne fait taire les oiseaux et les bêtes !

Un tonnerre lui répondit, des cris, des exclamations.

— Oui, oui, la forêt est à nous, on a bien le droit d’y causer… Parle !

Alors, Étienne se tint un instant immobile sur le tronc d’arbre. La lune, trop basse encore à l’horizon, n’éclairait toujours que les branches hautes ; et la foule restait noyée de ténèbres, peu à peu calmée, silencieuse. Lui, noir également, faisait au-dessus d’elle, en haut de la pente, une barre d’ombre.

Il leva un bras dans un geste lent, il commença ; mais sa voix ne grondait plus, il avait pris le ton froid d’un simple mandataire du peuple qui rend ses comptes. Enfin, il plaçait le discours que le commissaire de police lui avait coupé au Bon-Joyeux ; et il débutait par un historique rapide de la grève, en affectant l’éloquence scientifique : des faits, rien que des faits. D’abord, il dit sa répugnance contre la grève : les mineurs ne l’avaient pas voulue, c’était la Direction qui les avait provoqués, avec son nouveau tarif de boisage. Puis, il rappela la première démarche des délégués chez le directeur, la mauvaise foi de la Régie, et plus tard, lors de la seconde démarche, sa concession tardive, les dix centimes qu’elle rendait, après avoir tâché de les voler. Maintenant, on en était là, il établissait par des chiffres le vide de la caisse de prévoyance, indiquait l’emploi des secours envoyés, excusait en quelques phrases l’Internationale, Pluchart et les autres, de ne pouvoir faire davantage pour eux, au milieu des soucis de leur conquête du monde. Donc, la situation s’aggravait de jour en jour, la Compagnie renvoyait les livrets et me-