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GERMINAL.

terre la peau des misérables. En vieillissant, les galeries s’épuraient des gaz nuisibles, tout le grisou était parti, on ne sentait là maintenant que l’odeur des anciens bois fermentés, une odeur subtile d’éther, comme aiguisée d’une pointe de girofle. Ces bois, du reste, devenaient amusants à voir, d’une pâleur jaunie de marbre, frangés de guipures blanchâtres, de végétations floconneuses qui semblaient les draper d’une passementerie de soie et de perles. D’autres se hérissaient de champignons. Et il y avait des vols de papillons blancs, des mouches et des araignées de neige, une population décolorée, à jamais ignorante du soleil.

— Alors, tu n’as pas peur ? demanda Étienne.

Jeanlin le regarda, étonné.

— Peur de quoi ? puisque je suis tout seul.

Mais la morue était grattée enfin. Il alluma un petit feu de bois, étala le brasier et la fit griller. Puis il coupa un pain en deux. C’était un régal terriblement salé, exquis tout de même pour des estomacs solides.

Étienne avait accepté sa part.

— Ça ne m’étonne plus, si tu engraisses, pendant que nous maigrissons tous. Sais-tu que c’est cochon de t’empiffrer !… Et les autres, tu n’y songes pas ?

— Tiens ! pourquoi les autres sont-ils trop bêtes ?

— D’ailleurs, tu as raison de te cacher, car si ton père apprenait que tu voles, il t’arrangerait.

— Avec ça que les bourgeois ne nous volent pas ! C’est toi qui le dis toujours. Quand j’ai chipé ce pain chez Maigrat, c’était bien sûr un pain qu’il nous devait.

Le jeune homme se tut, la bouche pleine, troublé. Il le regardait, avec son museau, ses yeux verts, ses grandes oreilles, dans sa dégénérescence d’avorton à l’intelligence obscure et d’une ruse de sauvage, lentement repris par l’animalité ancienne. La mine, qui l’avait fait, venait de l’achever, en lui cassant les jambes.