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LES ROUGON-MACQUART.

forme de table, il y avait de tout, du pain, des pommes, des litres de genièvre entamés : une vraie caverne scélérate, du butin entassé depuis des semaines, même du butin inutile, du savon et du cirage, volés pour le plaisir du vol. Et le petit, tout seul au milieu de ces rapines, en jouissait en brigand égoïste.

— Dis donc, est-ce que tu te fous du monde ? cria Étienne, lorsqu’il eut soufflé un moment. Tu descends te goberger ici, quand nous crevons de faim là-haut ?

Jeanlin, atterré, tremblait. Mais, en reconnaissant le jeune homme, il se tranquillisa vite.

— Veux-tu dîner avec moi ? finit-il par dire. Hein ? un morceau de morue grillée ?… Tu vas voir.

Il n’avait pas lâché sa morue, et s’était mis à en gratter proprement les chiures de mouche, avec un beau couteau neuf, un de ces petits couteaux-poignards à manche d’os, où sont inscrites des devises. Celui-ci portait le mot « Amour », simplement.

— Tu as un joli couteau, fit remarquer Étienne.

— C’est un cadeau de Lydie, répondit Jeanlin, qui négligea d’ajouter que Lydie l’avait volé, sur son ordre, à un camelot de Montsou, devant le débit de la Tête-Coupée.

Puis, comme il grattait toujours, il ajouta d’un air fier :

— N’est-ce pas qu’on est bien chez moi ?… On a un peu plus chaud que là-haut, et ça sent joliment meilleur !

Étienne s’était assis, curieux de le faire causer. Il n’avait plus de colère, un intérêt le prenait, pour cette crapule d’enfant, si brave et si industrieux dans ses vices. Et, en effet, il goûtait un bien-être, au fond de ce trou : la chaleur n’y était plus trop forte, une température égale y régnait en dehors des saisons, d’une tiédeur de bain, pendant que le rude décembre gerçait sur la