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GERMINAL.

nes, sans cesse par les chemins, avec des yeux de jeunes loups, c’était un besoin croissant de maraude. Jeanlin restait le capitaine de ces expéditions, jetant la troupe sur toutes les proies, ravageant les champs d’oignons, pillant les vergers, attaquant les étalages. Dans le pays, on accusait les mineurs en grève, on parlait d’une vaste bande organisée. Un jour même, il avait forcé Lydie à voler sa mère, il s’était fait apporter par elle deux douzaines de sucres d’orge que la Pierronne tenait dans un bocal, sur une des planches de sa fenêtre ; et la petite, rouée de coups, ne l’avait pas trahi, tellement elle tremblait devant son autorité. Le pis était qu’il se taillait la part du lion. Bébert, également, devait lui remettre le butin, heureux si le capitaine ne le giflait pas, pour garder tout.

Depuis quelque temps, Jeanlin abusait. Il battait Lydie comme on bat une femme légitime, et il profitait de la crédulité de Bébert pour l’engager dans des aventures désagréables, très amusé de faire tourner en bourrique ce gros garçon, plus fort que lui, qui l’aurait assommé d’un coup de poing. Il les méprisait tous les deux, les traitait en esclaves, leur racontait qu’il avait pour maîtresse une princesse, devant laquelle ils étaient indignes de se montrer. Et, en effet, il y avait huit jours qu’il disparaissait brusquement, au bout d’une rue, au tournant d’un sentier, n’importe où il se trouvait, après leur avoir ordonné, l’air terrible, de rentrer au coron. D’abord, il empochait le butin.

Ce fut d’ailleurs ce qui arriva, ce soir-là.

— Donne, dit-il en arrachant la morue des mains de son camarade, lorsqu’ils s’arrêtèrent tous trois, à un coude de la route, près de Réquillart.

Bébert protesta.

— J’en veux, tu sais. C’est moi qui l’ai prise.

— Hein, quoi ? cria-t-il. T’en auras, si je t’en donne, et pas ce soir, bien sûr : demain, s’il en reste.