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LES ROUGON-MACQUART.

bouche, pour tromper sa faim. Personne ne parla plus, tous s’engourdissaient sous cette aggravation de leurs maux, le grand-père toussant, crachant noir, repris de rhumatismes qui se tournaient en hydropisie, le père asthmatique, les genoux enflés d’eau, la mère et les petits travaillés de la scrofule et de l’anémie héréditaires. Sans doute le métier voulait ça ; on ne s’en plaignait que lorsque le manque de nourriture achevait le monde ; et déjà l’on tombait comme des mouches, dans le coron. Il fallait pourtant trouver à souper. Quoi faire, où aller, mon Dieu ?

Alors, dans le crépuscule dont la morne tristesse assombrissait de plus en plus la pièce, Étienne, qui hésitait depuis un instant, se décida, le cœur crevé.

— Attendez-moi, dit-il. Je vais voir quelque part.

Et il sortit. L’idée de la Mouquette lui était venue. Elle devait bien avoir un pain et elle le donnerait volontiers. Cela le fâchait, d’être ainsi forcé de retourner à Réquillart : cette fille lui baiserait les mains, de son air de servante amoureuse ; mais on ne lâchait pas des amis dans la peine, il serait encore gentil avec elle, s’il le fallait.

— Moi aussi, je vais voir, dit à son tour la Maheude. C’est trop bête.

Elle rouvrit la porte derrière le jeune homme et la rejeta violemment, laissant les autres immobiles et muets, dans la maigre clarté d’un bout de chandelle qu’Alzire venait d’allumer. Dehors, une courte réflexion l’arrêta. Puis, elle entra chez les Levaque.

— Dis donc, je t’ai prêté un pain, l’autre jour. Si tu me le rendais.

Mais elle s’interrompit, ce qu’elle voyait n’était guère encourageant ; et la maison sentait la misère plus que la sienne.

La Levaque, les yeux fixes, regardait son feu éteint,