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LES ROUGON-MACQUART.

s’étendaient dans une ombre glacée, où ne luisait pas un espoir. Ils avaient voulu cela, aucun ne parlait de se rendre. Cet excès de misère les faisait s’entêter davantage, muets, comme des bêtes traquées, résolues à mourir au fond de leur trou, plutôt que d’en sortir. Qui aurait osé parler le premier de soumission ? on avait juré avec les camarades de tenir tous ensemble, et tous tiendraient, ainsi qu’on tenait à la fosse, quand il y en avait un sous un éboulement. Ça se devait, ils étaient là-bas à une bonne école pour savoir se résigner ; on pouvait se serrer le ventre pendant huit jours, lorsqu’on avalait le feu et l’eau depuis l’âge de douze ans ; et leur dévouement se doublait ainsi d’un orgueil de soldats, d’hommes fiers de leur métier, ayant pris, dans leur lutte quotidienne contre la mort, une vantardise du sacrifice.

Chez les Maheu, la soirée fut affreuse. Tous se taisaient, assis devant le feu mourant, où fumait la dernière pâtée d’escaillage. Après avoir vidé les matelas poignée à poignée, on s’était décidé l’avant-veille à vendre pour trois francs le coucou ; et la pièce semblait nue et morte, depuis que le tictac familier ne l’emplissait plus de son bruit. Maintenant, au milieu du buffet, il ne restait d’autre luxe que la boîte de carton rose, un ancien cadeau de Maheu, auquel la Maheude tenait comme à un bijou. Les deux bonnes chaises étaient parties, le père Bonnemort et les enfants se serraient sur un vieux banc moussu, rentré du jardin. Et le crépuscule livide qui tombait semblait augmenter le froid.

— Quoi faire ? répéta la Maheude, accroupie au coin du fourneau.

Étienne, debout, regardait les portraits de l’empereur et de l’impératrice, collés contre le mur. Il les en aurait arrachés depuis longtemps, sans la famille qui les défendait, pour l’ornement. Aussi murmura-t-il, les dents serrées :