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LES ROUGON-MACQUART.

— Tu t’en fous, toi ! tu manges ! hurla Levaque, en montrant le poing à Rasseneur.

Étienne s’était penché, derrière le dos du président, pour apaiser Maheu, très rouge, mis hors de lui par ce discours d’hypocrite.

— Citoyens, dit Pluchart, permettez-moi de prendre la parole.

Un silence profond se fit. Il parla. Sa voix sortait, pénible et rauque ; mais il s’y était habitué, toujours en course, promenant sa laryngite avec son programme. Peu à peu, il l’enflait et en tirait des effets pathétiques. Les bras ouverts, accompagnant les périodes d’un balancement d’épaules, il avait une éloquence qui tenait du prône, une façon religieuse de laisser tomber la fin des phrases, dont le ronflement monotone finissait par convaincre.

Et il plaça son discours sur la grandeur et les bienfaits de l’Internationale, celui qu’il déballait d’abord, dans les localités où il débutait. Il en expliqua le but, l’émancipation des travailleurs ; il en montra la structure grandiose, en bas la commune, plus haut la province, plus haut encore la nation, et tout au sommet l’humanité. Ses bras s’agitaient lentement, entassaient les étages, dressaient l’immense cathédrale du monde futur. Puis, c’était l’administration intérieure : il lut les statuts, parla des congrès, indiqua l’importance croissante de l’œuvre, l’élargissement du programme, qui, parti de la discussion des salaires, s’attaquait maintenant à la liquidation sociale, pour en finir avec le salariat. Plus de nationalités, les ouvriers du monde entier réunis dans un besoin commun de justice, balayant la pourriture bourgeoise, fondant enfin la société libre, où celui qui ne travaillerait pas, ne récolterait pas ! Il mugissait, son haleine effarait les fleurs de papier peint, sous le plafond enfumé, dont l’écrasement rabattait les éclats de sa voix.

Une houle agita les têtes. Quelques-uns crièrent :