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LES ROUGON-MACQUART.

cloison mobile séparait du bal, pendant la semaine. Lorsqu’ils eurent fini leur omelette et leur fromage, le machineur voulut partir ; et, comme l’autre le retenait :

— À quoi bon ? pour vous entendre dire des bêtises inutiles !… J’en ai assez vu. Bonsoir !

Il s’en alla de son air doux et obstiné, une cigarette aux lèvres.

L’inquiétude d’Étienne croissait. Il était une heure, décidément Pluchart lui manquait de parole. Vers une heure et demie, les délégués commencèrent à paraître, et il dut les recevoir, car il désirait veiller aux entrées, de peur que la Compagnie n’envoyât ses mouchards habituels. Il examinait chaque lettre d’invitation, dévisageait les gens ; beaucoup, d’ailleurs, pénétraient sans lettre, il suffisait qu’il les connût, pour qu’on leur ouvrît la porte. Comme deux heures sonnaient, il vit arriver Rasseneur, qui acheva sa pipe devant le comptoir, en causant, sans hâte. Ce calme goguenard acheva de l’énerver, d’autant plus que des farceurs étaient venus, simplement pour la rigolade, Zacharie, Mouquet, d’autres encore : ceux-là se fichaient de la grève, trouvaient drôle de ne rien faire ; et, attablés, dépensant leurs derniers deux sous à une chope, ils ricanaient, ils blaguaient les camarades, les convaincus, qui allaient avaler leur langue d’embêtement.

Un nouveau quart d’heure s’écoula. On s’impatientait dans la salle. Alors, Étienne, désespéré, eut un geste de résolution. Et il se décidait à entrer, quand la veuve Désir, qui allongeait la tête au dehors, s’écria :

— Mais le voilà, votre monsieur !

C’était Pluchart, en effet. Il arrivait en voiture, traîné par un cheval poussif. Tout de suite, il sauta sur le pavé, mince, bellâtre, la tête carrée et trop grosse, ayant sous sa redingote de drap noir l’endimanchement d’un ouvrier cossu. Depuis cinq ans, il n’avait plus donné