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LES ROUGON-MACQUART.

chaises, dans un angle ; et, rangés de biais, des bancs garnissaient la salle.

— C’est parfait, déclara Étienne.

— Et, vous savez, reprit la veuve, vous êtes chez vous. Gueulez tant que ça vous plaira… Faudra que les gendarmes me passent sur le corps, s’ils viennent.

Malgré son inquiétude, il ne put s’empêcher de sourire en la regardant, tellement elle lui parut vaste, avec une paire de seins dont un seul réclamait un homme, pour être embrassé ; ce qui faisait dire que, maintenant, sur les six galants de la semaine, elle en prenait deux chaque soir, à cause de la besogne.

Mais Étienne s’étonna de voir entrer Rasseneur et Souvarine ; et, comme la veuve les laissait tous trois dans la grande salle vide, il s’écria :

— Tiens ! c’est déjà vous !

Souvarine, qui avait travaillé la nuit au Voreux, les machineurs n’étant pas en grève, venait simplement par curiosité. Quant à Rasseneur, il semblait gêné depuis deux jours, sa grasse figure ronde avait perdu son rire débonnaire.

— Pluchart n’est pas arrivé, je suis très inquiet, ajouta Étienne.

Le cabaretier détourna les yeux et répondit entre ses dents :

— Ça ne m’étonne pas, je ne l’attends plus.

— Comment ?

Alors, il se décida, il regarda l’autre en face, et d’un air brave :

— C’est que, moi aussi, je lui ai envoyé une lettre, si tu veux que je te le dise ; et, dans cette lettre, je l’ai supplié de ne pas venir… Oui, je trouve que nous devons faire nos affaires nous-mêmes, sans nous adresser aux étrangers.

Étienne, hors de lui, tremblant de colère, les yeux dans les yeux du camarade, répétait en bégayant :