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LES ROUGON-MACQUART.

Elle tirait de ses poches une livre de café et une livre de sucre, qu’elle s’enhardit à poser sur la table. La grève du Voreux la tourmentait, tandis qu’elle travaillait à Jean-Bart, et elle n’avait trouvé que cette façon d’aider un peu ses parents, sous le prétexte de songer aux petits. Mais son bon cœur ne désarmait pas sa mère, qui répliqua :

— Au lieu de nous apporter des douceurs, tu aurais mieux fait de rester à nous gagner du pain.

Elle l’accabla, elle se soulagea, en lui jetant à la face tout ce qu’elle répétait contre elle, depuis un mois. Filer avec un homme, se coller à seize ans, lorsqu’on avait une famille dans le besoin ! Il fallait être la dernière des filles dénaturées. On pouvait pardonner une bêtise, mais une mère n’oubliait jamais un pareil tour. Et encore si on l’avait tenue à l’attache ! Pas du tout, elle était libre comme l’air, on lui demandait seulement de rentrer coucher.

— Dis ? qu’est-ce que tu as dans la peau, à ton âge ?

Catherine, immobile près de la table, écoutait, la tête basse. Un tressaillement agitait son maigre corps de fille tardive, et elle tâchait de répondre, en paroles entrecoupées.

— Oh ! s’il n’y avait que moi, pour ce que ça m’amuse !… C’est lui. Quand il veut, je suis bien forcée de vouloir, n’est-ce pas ? parce que, vois-tu, il est le plus fort… Est-ce qu’on sait comment les choses tournent ? Enfin, c’est fait, et ce n’est pas à défaire, car autant lui qu’un autre, maintenant. Faut bien qu’il m’épouse.

Elle se défendait sans révolte, avec la résignation passive des filles qui subissent le mâle de bonne heure. N’était-ce pas la loi commune ? Jamais elle n’avait rêvé autre chose, une violence derrière le terri, un enfant à seize ans, puis la misère dans le ménage, si son galant l’épousait. Et elle ne rougissait de honte, elle ne trem-