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GERMINAL.

monsieur en redingote. S’il continuait à s’instruire, dévorant tout, le manque de méthode rendait l’assimilation très lente, une telle confusion se produisait, qu’il finissait par savoir des choses qu’il n’avait pas comprises. Aussi, à certaines heures de bon sens, éprouvait-il une inquiétude sur sa mission, la peur de n’être point l’homme attendu. Peut-être aurait-il fallu un avocat, un savant capable de parler et d’agir, sans compromettre les camarades ? Mais une révolte le remettait bientôt d’aplomb. Non, non, pas d’avocats ! tous sont des canailles, ils profitent de leur science pour s’engraisser avec le peuple ! Ça tournerait comme ça tournerait, les ouvriers devaient faire leurs affaires entre eux. Et son rêve de chef populaire le berçait de nouveau : Montsou à ses pieds, Paris dans un lointain brouillard, qui sait ? la députation un jour, la tribune d’une salle riche, où il se voyait foudroyant les bourgeois, du premier discours prononcé par un ouvrier dans un Parlement.

Depuis quelques jours, Étienne était perplexe. Pluchart écrivait lettre sur lettre, en offrant de se rendre à Montsou, pour chauffer le zèle des grévistes. Il s’agissait d’organiser une réunion privée, que le mécanicien présiderait ; et il y avait, sous ce projet, l’idée d’exploiter la grève, de gagner à l’Internationale les mineurs, qui, jusque-là, s’étaient montrés méfiants. Étienne redoutait du tapage, mais il aurait cependant laissé venir Pluchart, si Rasseneur n’avait blâmé violemment cette intervention. Malgré sa puissance, le jeune homme devait compter avec le cabaretier, dont les services étaient plus anciens, et qui gardait des fidèles parmi ses clients. Aussi hésitait-il encore, ne sachant que répondre.

Justement, le lundi, vers quatre heures, une nouvelle lettre arriva de Lille, comme Étienne se trouvait seul, avec la Maheude, dans la salle du bas. Maheu, énervé d’oisiveté, était parti à la pêche : s’il avait la chance de