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LES ROUGON-MACQUART.

pas plus de volonté ici que le dernier de vos galibots. On me donne des ordres, et mon seul rôle est de veiller à leur bonne exécution. Je vous ai dit ce que j’ai cru devoir vous dire, mais je me garderais bien de décider… Vous m’apportez vos exigences, je les ferai connaître à la Régie, puis je vous transmettrai la réponse.

Il parlait de son air correct de haut fonctionnaire, évitant de se passionner dans les questions, d’une sécheresse courtoise de simple instrument d’autorité. Et les mineurs, maintenant, le regardaient avec défiance, se demandaient d’où il venait, quel intérêt il pouvait avoir à mentir, ce qu’il devait voler, en se mettant ainsi entre eux et les vrais patrons. Un intrigant peut-être, un homme qu’on payait comme un ouvrier, et qui vivait si bien !

Étienne osa de nouveau intervenir.

— Voyez donc, monsieur le directeur, comme il est regrettable que nous ne puissions plaider notre cause en personne. Nous expliquerions beaucoup de choses, nous trouverions des raisons qui vous échappent forcément… Si nous savions seulement où nous adresser !

M. Hennebeau ne se fâcha point. Il eut même un sourire.

— Ah ! dame ! cela se complique, du moment où vous n’avez pas confiance en moi… Il faut aller là-bas.

Les délégués avaient suivi son geste vague, sa main tendue vers une des fenêtres. Où était-ce, là-bas ? Paris sans doute. Mais ils ne le savaient pas au juste, cela se reculait dans un lointain terrifiant, dans une contrée inaccessible et religieuse, où trônait le dieu inconnu, accroupi au fond de son tabernacle. Jamais ils ne le verraient, ils le sentaient seulement comme une force qui, de loin, pesait sur les dix mille charbonniers de Montsou. Et, quand le directeur parlait, c’était cette force qu’il avait derrière lui, cachée et rendant des oracles.