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LES ROUGON-MACQUART.

plus habiles, ne feriez-vous pas mieux de répandre ces vérités-là que de vous perdre, en fréquentant des gens de mauvaise réputation ? Oui, je veux parler de Rasseneur, dont nous avons dû nous séparer, afin de sauver nos fosses de la pourriture socialiste… On vous voit toujours chez lui, et c’est lui assurément qui vous a poussé à créer cette caisse de prévoyance, que nous tolérerions bien volontiers si elle était seulement une épargne, mais où nous sentons une arme contre nous, un fonds de réserve pour payer les frais de la guerre. Et, à ce propos, je dois ajouter que la Compagnie entend avoir un contrôle sur cette caisse.

Étienne le laissait aller, les yeux sur les siens, les lèvres agitées d’un petit battement nerveux. Il sourit à la dernière phrase, il répondit simplement :

— C’est donc une nouvelle exigence, car monsieur le directeur avait jusqu’ici négligé de réclamer ce contrôle… Notre désir, par malheur, est que la Compagnie s’occupe moins de nous, et qu’au lieu de jouer le rôle de providence, elle se montre tout bonnement juste en nous donnant ce qui nous revient, notre gain qu’elle se partage. Est-ce honnête, à chaque crise, de laisser mourir de faim les travailleurs pour sauver les dividendes des actionnaires ?… Monsieur le directeur aura beau dire, le nouveau système est une baisse de salaire déguisée, et c’est ce qui nous révolte, car si la Compagnie a des économies à faire, elle agit très mal en les réalisant uniquement sur l’ouvrier.

— Ah ! nous y voilà ! cria M. Hennebeau. Je l’attendais, cette accusation d’affamer le peuple et de vivre de sa sueur ! Comment pouvez-vous dire des bêtises pareilles, vous qui devriez savoir les risques énormes que les capitaux courent dans l’industrie, dans les mines par exemple ? Une fosse tout équipée, aujourd’hui, coûte de quinze cent mille francs à deux millions ; et que de peine avant de retirer un intérêt médiocre d’une