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LES ROUGON-MACQUART.

elle avait fini par y croire, elle s’indignait de l’ingratitude du peuple.

Négrel, pendant ce temps, continuait à effrayer M. Grégoire. Cécile ne lui déplaisait pas, et il voulait bien l’épouser, pour être agréable à sa tante ; mais il n’y apportait aucune fièvre amoureuse, en garçon d’expérience qui ne s’emballait plus, comme il disait. Lui, se prétendait républicain, ce qui ne l’empêchait pas de conduire ses ouvriers avec une rigueur extrême, et de les plaisanter finement, en compagnie des dames.

— Je n’ai pas non plus l’optimisme de mon oncle, reprit-il. Je crains de graves désordres… Ainsi, monsieur Grégoire, je vous conseille de verrouiller la Piolaine. On pourrait vous piller.

Justement, sans quitter le sourire qui éclairait son bon visage, M. Grégoire renchérissait sur sa femme en sentiments paternels à l’égard des mineurs.

— Me piller ! s’écria-t-il, stupéfait. Et pourquoi me piller ?

— N’êtes-vous pas un actionnaire de Montsou ? Vous ne faites rien, vous vivez du travail des autres. Enfin, vous êtes l’infâme capital, et cela suffit… Soyez certain que, si la révolution triomphait, elle vous forcerait à restituer votre fortune, comme de l’argent volé.

Du coup, il perdit la tranquillité d’enfant, la sérénité d’inconscience où il vivait. Il bégaya :

— De l’argent volé, ma fortune ! Est-ce que mon bisaïeul n’avait pas gagné, et durement, la somme placée autrefois ? Est-ce que nous n’avons pas couru tous les risques de l’entreprise ? Est-ce que je fais un mauvais usage des rentes, aujourd’hui ?

Madame Hennebeau, alarmée en voyant la mère et la fille blanches de peur, elles aussi, se hâta d’intervenir, en disant :

— Paul plaisante, cher monsieur.