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GERMINAL.

sera une semaine, une quinzaine au plus de paresse, comme la dernière fois. Ils vont rouler les cabarets ; puis, quand ils auront trop faim, ils retourneront aux fosses.

Deneulin hocha la tête.

— Je ne suis pas si tranquille… Cette fois, ils paraissent mieux organisés. N’ont-ils pas une caisse de prévoyance ?

— Oui, à peine trois mille francs : où voulez-vous qu’ils aillent avec ça ?… Je soupçonne un nommé Étienne Lantier d’être leur chef. C’est un bon ouvrier, cela m’ennuierait d’avoir à lui rendre son livret, comme jadis au fameux Rasseneur, qui continue à empoisonner le Voreux, avec ses idées et sa bière… N’importe, dans huit jours, la moitié des hommes redescendra, et dans quinze, les dix mille seront au fond.

Il était convaincu. Sa seule inquiétude venait de sa disgrâce possible, si la Régie lui laissait la responsabilité de la grève. Depuis quelque temps, il se sentait moins en faveur. Aussi, abandonnant la cuillerée de salade russe qu’il avait prise, relisait-il les dépêches reçues de Paris, des réponses dont il tâchait de pénétrer chaque mot. On l’excusait, le repas tournait à un déjeuner militaire, mangé sur le champ de bataille, avant les premiers coups de feu.

Les dames, dès lors, se mêlèrent à la conversation. Madame Grégoire s’apitoya sur ces pauvres gens qui allaient souffrir de la faim ; et déjà Cécile faisait la partie de distribuer des bons de pain et de viande. Mais madame Hennebeau s’étonnait, en entendant parler de la misère des charbonniers de Montsou. Est-ce qu’ils n’étaient pas très heureux ? Des gens logés, chauffés, soignés aux frais de la Compagnie ! Dans son indifférence pour ce troupeau, elle ne savait de lui que la leçon apprise, dont elle émerveillait les Parisiens en visite ; et