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GERMINAL.

vivaient bien, et ils prenaient des goûts de luxe… Aujourd’hui, naturellement, ça leur semble dur, de revenir à leur frugalité ancienne.

— Monsieur Grégoire, interrompit madame Hennebeau, je vous en prie, encore un peu de ces truites… Elles sont délicates, n’est-ce pas ?

Le directeur continuait :

— Mais, en vérité, est-ce notre faute ? Nous sommes atteints cruellement, nous aussi… Depuis que les usines ferment une à une, nous avons un mal du diable à nous débarrasser de notre stock ; et, devant la réduction croissante des demandes, nous nous trouvons bien forcés d’abaisser le prix de revient… C’est ce que les ouvriers ne veulent pas comprendre.

Un silence régna. Le domestique présentait des perdreaux rôtis, tandis que la femme de chambre commençait à verser du chambertin aux convives.

— Il y a une famine dans l’Inde, reprit Deneulin à demi-voix, comme s’il se fût parlé à lui-même. L’Amérique, en cessant ses commandes de fer et de fonte, a porté un rude coup à nos hauts fourneaux. Tout se tient, une secousse lointaine suffit à ébranler le monde… Et l’Empire qui était si fier de cette fièvre chaude de l’industrie !

Il attaqua son aile de perdreau. Puis, haussant la voix :

— Le pis est que, pour abaisser le prix de revient, il faudrait logiquement produire davantage : autrement, la baisse se porte sur les salaires, et l’ouvrier a raison de dire qu’il paie les pots cassés.

Cet aveu, arraché à sa franchise, souleva une discussion. Les dames ne s’amusaient guère. Chacun, du reste, s’occupait de son assiette, dans le feu du premier appétit. Comme le domestique rentrait, il sembla vouloir parler, puis il hésita.