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LES ROUGON-MACQUART.

l’avertir que pas un homme n’était descendu au Voreux. Le coron des Deux-Cent-Quarante, qu’il avait traversé, dormait profondément, fenêtres et portes closes. Et, dès que le directeur eut sauté du lit, les yeux gros encore de sommeil, il fut accablé : de quart d’heure en quart d’heure, des messagers accouraient, des dépêches tombaient sur son bureau, dru comme grêle. D’abord, il espéra que la révolte se limitait au Voreux ; mais les nouvelles devenaient plus graves à chaque minute : c’était Mirou, c’était Crèvecœur, c’était Madeleine, où il n’avait paru que les palefreniers ; c’étaient la Victoire et Feutry-Cantel, les deux fosses les mieux disciplinées, dans lesquelles la descente se trouvait réduite d’un tiers ; Saint-Thomas seul avait son monde au complet et semblait demeurer en dehors du mouvement. Jusqu’à neuf heures, il dicta les dépêches, télégraphiant de tous côtés, au préfet de Lille, aux régisseurs de la Compagnie, prévenant les autorités, demandant des ordres. Il avait envoyé Négrel faire le tour des fosses voisines, pour avoir des renseignements précis.

Tout d’un coup, M. Hennebeau songea au déjeuner ; et il allait envoyer le cocher avertir les Grégoire que la partie était remise, lorsqu’une hésitation, un manque de volonté l’arrêta, lui qui venait, en quelques phrases brèves, de préparer militairement son champ de bataille. Il monta chez madame Hennebeau, qu’une femme de chambre achevait de coiffer, dans son cabinet de toilette.

— Ah ! ils sont en grève, dit-elle tranquillement, lorsqu’il l’eut consultée. Eh bien, qu’est-ce que cela nous fait ?… Nous n’allons point cesser de manger, n’est-ce pas ?

Et elle s’entêta, il eut beau lui dire que le déjeuner serait troublé, que la visite à Saint-Thomas ne pourrait avoir lieu : elle trouvait une réponse à tout, pourquoi