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GERMINAL.

d’une maigreur d’insecte, souillé de poussière noire, de terre jaune, que marbraient des taches sanglantes. On ne distinguait rien, on dut le laver aussi. Alors, il sembla maigrir encore sous l’éponge, la chair si blême, si transparente, qu’on voyait les os. C’était une pitié, cette dégénérescence dernière d’une race de misérables, ce rien du tout souffrant, à demi broyé par l’écrasement des roches. Quand il fut propre, on aperçut les meurtrissures des cuisses, deux taches rouges sur la peau blanche.

Jeanlin, tiré de son évanouissement, eut une plainte. Debout au pied du matelas, les mains ballantes, Maheu le regardait ; et de grosses larmes roulèrent de ses yeux.

— Hein ? c’est toi qui es le père ? dit le docteur en levant la tête. Ne pleure donc pas, tu vois bien qu’il n’est pas mort… Aide-moi plutôt.

Il constata deux ruptures simples. Mais la jambe droite lui donnait des inquiétudes : sans doute il faudrait la couper.

À ce moment, l’ingénieur Négrel et Dansaert, prévenus enfin, arrivèrent avec Richomme. Le premier écoutait le récit du porion, d’un air exaspéré. Il éclata : toujours ces maudits boisages ! n’avait-il pas répété cent fois qu’on y laisserait des hommes ! et ces brutes-là qui parlaient de se mettre en grève, si on les forçait à boiser plus solidement ! Le pis était que la Compagnie, maintenant, paierait les pots cassés. M. Hennebeau allait être content !

— Qui est-ce ? demanda-t-il à Dansaert, silencieux devant le cadavre, qu’on était en train d’envelopper dans un drap.

— Chicot, un de nos bons ouvriers, répondit le maître-porion. Il a trois enfants… Pauvre bougre !

Le docteur Vanderhaghen demanda le transport immédiat de Jeanlin chez ses parents. Six heures sonnaient, le crépuscule tombait déjà, on ferait bien de transporter