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LES ROUGON-MACQUART.

petits yeux verts, luisants dans l’obscurité. D’une précocité maladive, il semblait avoir l’intelligence obscure et la vive adresse d’un avorton humain, qui retournait à l’animalité d’origine.

L’après-midi, Mouque amena aux galibots Bataille, dont c’était le tour de corvée ; et, comme le cheval soufflait dans un garage, Jeanlin, qui s’était glissé jusqu’à Bébert, lui demanda :

— Qu’est-ce qu’il a, ce vieux rossard, à s’arrêter court ?… Il me fera casser les jambes.

Bébert ne put répondre, il dut retenir Bataille, qui s’égayait à l’approche de l’autre train. Le cheval avait reconnu de loin, au flair, son camarade Trompette, pour lequel il s’était pris d’une grande tendresse, depuis le jour où il l’avait vu débarquer dans la fosse. On aurait dit la pitié affectueuse d’un vieux philosophe, désireux de soulager un jeune ami, en lui donnant sa résignation et sa patience ; car Trompette ne s’acclimatait pas, tirait ses berlines sans goût, restait la tête basse, aveuglé de nuit, avec le constant regret du soleil. Aussi, chaque fois que Bataille le rencontrait, allongeait-il la tête, s’ébrouant, le mouillant d’une caresse d’encouragement.

— Nom de Dieu ! jura Bébert, les voilà encore qui se sucent la peau !

Puis, lorsque Trompette fut passé, il répondit au sujet de Bataille :

— Va, il a du vice, le vieux !… Quand il s’arrête comme ça, c’est qu’il devine un embêtement, une pierre ou un trou ; et il se soigne, il ne veut rien se casser… Aujourd’hui, je ne sais ce qu’il peut avoir, là-bas, après la porte. Il la pousse et reste sur les pieds… Est-ce que tu as senti quelque chose ?

— Non, dit Jeanlin. Il y a de l’eau, j’en ai jusqu’aux genoux.

Le train repartit. Et, au voyage suivant, lorsqu’il eut