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LES ROUGON-MACQUART.

Dehors, quand il eut retrouvé Étienne qui l’attendait, il éclata.

— Je suis un jean-foutre, j’aurais dû répondre !… Pas de quoi manger du pain, et des sottises encore ! Oui, c’est contre toi qu’il en a, il m’a dit que le coron était empoisonné… Et quoi faire ? nom de Dieu ! plier l’échine, dire merci. Il a raison, c’est le plus sage.

Maheu se tut, travaillé à la fois de colère et de crainte. Étienne songeait d’un air sombre. De nouveau, ils traversèrent les groupes qui barraient la rue. L’exaspération croissait, une exaspération de peuple calme, un murmure grondant d’orage, sans violence de gestes, terrible au-dessus de cette masse lourde. Quelques têtes sachant compter avaient fait le calcul, et les deux centimes gagnés par la Compagnie sur les bois, circulaient, exaltaient les crânes les plus durs. Mais c’était surtout l’enragement de cette paie désastreuse, la révolte de la faim, contre le chômage et les amendes. Déjà on ne mangeait plus, qu’allait-on devenir, si l’on baissait encore les salaires ? Dans les estaminets, on se fâchait tout haut, la colère séchait tellement les gosiers, que le peu d’argent touché restait sur les comptoirs.

De Montsou au coron, Étienne et Maheu n’échangèrent pas une parole. Lorsque ce dernier entra, la Maheude, qui était seule avec les enfants, remarqua tout de suite qu’il avait les mains vides.

— Eh bien, tu es gentil ! dit-elle. Et mon café, et mon sucre, et la viande ? Un morceau de veau ne t’aurait pas ruiné.

Il ne répondait point, étranglé d’une émotion qu’il renfonçait. Puis, dans ce visage épais d’homme durci aux travaux des mines, il y eut un gonflement de désespoir, et de grosses larmes crevèrent des yeux, tombèrent en pluie chaude. Il s’était abattu sur une chaise, il pleurait comme un enfant, en jetant les cinquante francs sur la table.