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LES ROUGON-MACQUART.

demandant des tartines, le café même manquant, et l’eau qui donnait des coliques, et les longues journées passées à tromper la faim avec des feuilles de choux bouillies. Peu à peu, elle avait dû hausser le ton, car le hurlement d’Estelle couvrait ses paroles. Ces cris devenaient insoutenables. Maheu parut tout d’un coup les entendre, hors de lui, et il saisit la petite dans le berceau, il la jeta sur le lit de la mère, en balbutiant de fureur :

— Tiens ! prends-la, je l’écraserais… Nom de Dieu d’enfant ! ça ne manque de rien, ça tette, et ça se plaint plus haut que les autres !

Estelle s’était mise à téter, en effet. Disparue sous la couverture, calmée par la tiédeur du lit, elle n’avait plus qu’un petit bruit goulu des lèvres.

— Est-ce que les bourgeois de la Piolaine ne t’ont pas dit d’aller les voir ? reprit le père au bout d’un silence.

La mère pinça la bouche, d’un air de doute découragé.

— Oui, ils m’ont rencontrée, ils portent des vêtements aux enfants pauvres… Enfin, je mènerai ce matin chez eux Lénore et Henri. S’ils me donnaient cent sous seulement !

Le silence recommença. Maheu était prêt. Il demeura un moment immobile, puis il conclut de sa voix sourde :

— Qu’est-ce que tu veux ? c’est comme ça, arrange-toi pour la soupe… Ça n’avance à rien d’en causer, vaut mieux être là-bas au travail.

— Bien sûr, répondit la Maheude. Souffle la chandelle, je n’ai pas besoin de voir la couleur de mes idées.

Il souffla la chandelle. Déjà, Zacharie et Jeanlin descendaient ; il les suivit ; et l’escalier de bois craquait sous leurs pieds lourds, chaussés de laine. Derrière eux, le cabinet et la chambre étaient retombés aux ténèbres. Les enfants dormaient, les paupières d’Alzire elle-même s’étaient closes. Mais la mère restait maintenant les yeux