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LES ROUGON-MACQUART.

affiche était collée chez le caissier ; mais il ne savait pas bien ce qu’on lisait sur cette affiche. Un second entra, puis un troisième ; et chacun apportait une histoire différente. Il semblait certain, cependant, que la Compagnie avait pris une résolution.

— Qu’est-ce que tu en dis, toi ? demanda Étienne, en s’asseyant près de Souvarine, à une table, où, pour unique consommation, se trouvait un paquet de tabac.

Le machineur ne se pressa point, acheva de rouler une cigarette.

— Je dis que c’était facile à prévoir. Ils vont vous pousser à bout.

Lui seul avait l’intelligence assez déliée pour analyser la situation. Il l’expliquait de son air tranquille. La Compagnie, atteinte par la crise, était bien forcée de réduire ses frais, si elle ne voulait pas succomber ; et, naturellement, ce seraient les ouvriers qui devraient se serrer le ventre, elle rognerait leurs salaires, en inventant un prétexte quelconque. Depuis deux mois la houille restait sur le carreau de ses fosses, presque toutes les usines chômaient. Comme elle n’osait chômer aussi, effrayée devant l’inaction ruineuse du matériel, elle rêvait un moyen terme, peut-être une grève, d’où son peuple de mineurs sortirait dompté et moins payé. Enfin, la nouvelle caisse de prévoyance l’inquiétait, devenait une menace pour l’avenir, tandis qu’une grève l’en débarrasserait, en la vidant, lorsqu’elle était peu garnie encore.

Rasseneur s’était assis près d’Étienne, et tous deux écoutaient d’un air consterné. On pouvait causer à voix haute, il n’y avait plus là que madame Rasseneur, assise au comptoir.

— Quelle idée ! murmura le cabaretier. Pourquoi tout ça ? La Compagnie n’a aucun intérêt à une grève, et les ouvriers non plus. Le mieux est de s’entendre.

C’était fort sage. Il se montrait toujours pour les re-