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LES ROUGON-MACQUART.

vêtements de drap. Il se paya une paire de bottes fines, et du coup il passa chef, tout le coron se groupa autour de lui. Ce furent des satisfactions d’amour-propre délicieuses, il se grisa de ces premières jouissances de la popularité : être à la tête des autres, commander, lui si jeune et qui la veille encore était un manœuvre, l’emplissait d’orgueil, agrandissait son rêve d’une révolution prochaine, où il jouerait un rôle. Son visage changea, il devint grave, il s’écouta parler ; tandis que son ambition naissante enfiévrait ses théories et le poussait aux idées de bataille.

Cependant, l’automne s’avançait, les froids d’octobre avaient rouillé les petits jardins du coron. Derrière les lilas maigres, les galibots ne culbutaient plus les herscheuses sur le carin ; et il ne restait que les légumes d’hiver, les choux perlés de gelée blanche, les poireaux et les salades de conserve. De nouveau, les averses battaient les tuiles rouges, coulaient dans les tonneaux, sous les gouttières, avec des bruits de torrent. Dans chaque maison, le feu ne refroidissait pas, chargé de houille, empoisonnant la salle close. C’était encore une saison de grande misère qui commençait.

En octobre, par une de ces premières nuits glaciales, Étienne, fiévreux d’avoir parlé, en bas, ne put s’endormir. Il avait regardé Catherine se glisser sous la couverture, puis souffler la chandelle. Elle paraissait toute secouée, elle aussi, tourmentée d’une de ces pudeurs qui la faisaient encore se hâter parfois, si maladroitement, qu’elle se découvrait davantage. Dans l’obscurité, elle restait comme morte ; mais il entendait qu’elle ne dormait pas non plus ; et, il le sentait, elle songeait à lui, ainsi qu’il songeait à elle : jamais ce muet échange de leur être ne les avait emplis d’un tel trouble. Des minutes s’écoulèrent, ni lui ni elle ne remuait, leur souffle s’embarrassait seulement, malgré leur effort pour le retenir.