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GERMINAL.

Elle aussi venait de s’éveiller, et elle se plaignait, c’était bête de ne jamais faire sa nuit complète. Ils ne pouvaient donc partir doucement ? Enfouie dans la couverture, elle ne montrait que sa figure longue, aux grands traits, d’une beauté lourde, déjà déformée à trente-neuf ans par sa vie de misère et les sept enfants qu’elle avait eus. Les yeux au plafond, elle parla avec lenteur, pendant que son homme s’habillait. Ni l’un ni l’autre n’entendait plus la petite qui s’étranglait à crier.

— Hein ? tu sais, je suis sans le sou, et nous voici à lundi seulement : encore six jours à attendre la quinzaine… Il n’y a pas moyen que ça dure. À vous tous, vous apportez neuf francs. Comment veux-tu que j’arrive ? nous sommes dix à la maison.

— Oh ! neuf francs ! se récria Maheu. Moi et Zacharie, trois : ça fait six… Catherine et le père, deux : ça fait quatre ; quatre et six, dix… Et Jeanlin, un, ça fait onze.

— Oui, onze, mais il y a les dimanches et les jours de chômage… Jamais plus de neuf, entends-tu ?

Il ne répondit pas, occupé à chercher par terre sa ceinture de cuir. Puis, il dit en se relevant :

— Faut pas se plaindre, je suis tout de même solide. Il y en a plus d’un, à quarante-deux ans, qui passe au raccommodage.

— Possible, mon vieux, mais ça ne nous donne pas du pain… Qu’est-ce que je vais fiche, dis ? Tu n’as rien, toi ?

— J’ai deux sous.

— Garde-les pour boire une chope… Mon Dieu ! qu’est-ce que je vais fiche ? Six jours, ça n’en finit plus. Nous devons soixante francs à Maigrat, qui m’a mise à la porte avant-hier. Ça ne m’empêchera pas de retourner le voir. Mais, s’il s’entête à refuser…

Et la Maheude continua d’une voix morne, la tête immobile, fermant par instants les yeux sous la clarté triste de la chandelle. Elle disait le buffet vide, les petits