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GERMINAL.

en poudre, une humanité jeune, purgée de ses crimes, ne formait plus qu’un seul peuple de travailleurs, qui avait pour devise : à chacun suivant son mérite, et à chaque mérite suivant ses œuvres. Et, continuellement, ce rêve s’élargissait, s’embellissait, d’autant plus séducteur, qu’il montait plus haut dans l’impossible.

D’abord, la Maheude refusait d’entendre, prise d’une sourde épouvante. Non, non, c’était trop beau, on ne devait pas s’embarquer dans ces idées, car elles rendaient la vie abominable ensuite, et l’on aurait tout massacré alors, pour être heureux. Quand elle voyait luire les yeux de Maheu, troublé, conquis, elle s’inquiétait, elle criait, en interrompant Étienne :

— N’écoute pas, mon homme ! Tu vois bien qu’il nous fait des contes… Est-ce que les bourgeois consentiront jamais à travailler comme nous ?

Mais, peu à peu, le charme agissait aussi sur elle. Elle finissait par sourire, l’imagination éveillée, entrant dans ce monde merveilleux de l’espoir. Il était si doux d’oublier pendant une heure la réalité triste ! Lorsqu’on vit comme des bêtes, le nez à terre, il faut bien un coin de mensonge, où l’on s’amuse à se régaler des choses qu’on ne possédera jamais. Et ce qui la passionnait, ce qui la mettait d’accord avec le jeune homme, c’était l’idée de la justice.

— Ça, vous avez raison ! criait-elle. Moi quand une affaire est juste, je me ferais hacher… Et, vrai ! ce serait juste, de jouir à notre tour.

Maheu, alors, osait s’enflammer.

— Tonnerre de Dieu ! je ne suis pas riche, mais je donnerais bien cent sous pour ne pas mourir avant d’avoir vu tout ça… Quel chambardement ! Hein ? sera-ce bientôt, et comment s’y prendra-t-on ?

Étienne recommençait à parler. La vieille société craquait, ça ne pouvait durer au delà de quelques mois,