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LES ROUGON-MACQUART.

ventre, et l’enfant, plus tard, se foutait de vous. Non, non, ça n’avait rien de drôle.

Alors, la Maheude s’en mêlait.

— L’embêtant, voyez-vous, c’est lorsqu’on se dit que ça ne peut pas changer… Quand on est jeune, on s’imagine que le bonheur viendra, on espère des choses ; et puis, la misère recommence toujours, on reste enfermé là-dedans… Moi, je ne veux du mal à personne, mais il y a des fois où cette injustice me révolte.

Un silence se faisait, tous soufflaient un instant, dans le malaise vague de cet horizon fermé. Seul, le père Bonnemort, s’il était là, ouvrait des yeux surpris, car de son temps on ne se tracassait pas de la sorte : on naissait dans le charbon, on tapait à la veine, sans en demander davantage ; tandis que, maintenant, il passait un air qui donnait de l’ambition aux charbonniers.

— Faut cracher sur rien, murmurait-il. Une bonne chope est une bonne chope… Les chefs, c’est souvent de la canaille ; mais il y aura toujours des chefs, pas vrai ? Inutile de se casser la tête à réfléchir là-dessus.

Du coup, Étienne s’animait. Comment ! la réflexion serait défendue à l’ouvrier ! Eh ! justement, les choses changeraient bientôt, parce que l’ouvrier réfléchissait à cette heure. Du temps du vieux, le mineur vivait dans la mine comme une brute, comme une machine à extraire la houille, toujours sous la terre, les oreilles et les yeux bouchés aux événements du dehors. Aussi les riches qui gouvernent, avaient-ils beau jeu de s’entendre, de le vendre et de l’acheter, pour lui manger la chair : il ne s’en doutait même pas. Mais, à présent, le mineur s’éveillait au fond, germait dans la terre ainsi qu’une vraie graine ; et l’on verrait un matin ce qu’il pousserait au beau milieu des champs : oui, il pousserait des hommes, une armée d’hommes qui rétabliraient la justice. Est-ce que tous les citoyens n’étaient pas égaux depuis la Révolution ?