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GERMINAL.

perdait, dès qu’il voulait formuler un programme de reconstruction. Il se montrait même plein de modération et d’inconséquence, il répétait parfois qu’il fallait bannir la politique de la question sociale, une phrase qu’il avait lue et qui lui semblait bonne à dire, dans le milieu de houilleurs flegmatiques où il vivait.

Maintenant, chaque soir, chez les Maheu, on s’attardait une demi-heure, avant de monter se coucher. Toujours Étienne reprenait la même causerie. Depuis que sa nature s’affinait, il se trouvait blessé davantage par les promiscuités du coron. Est-ce qu’on était des bêtes, pour être ainsi parqués, les uns contre les autres, au milieu des champs, si entassés qu’on ne pouvait changer de chemise sans montrer son derrière aux voisins ! Et comme c’était bon pour la santé, et comme les filles et les garçons s’y pourrissaient forcément ensemble !

— Dame ! répondait Maheu, si l’on avait plus d’argent, on aurait plus d’aise… Tout de même, c’est bien vrai que ça ne vaut rien pour personne, de vivre les uns sur les autres. Ça finit toujours par des hommes soûls et par des filles pleines.

Et la famille partait de là, chacun disait son mot, pendant que le pétrole de la lampe viciait l’air de la salle, déjà empuantie d’oignon frit. Non, sûrement, la vie n’était pas drôle. On travaillait en vraies brutes à un travail qui était la punition des galériens autrefois, on y laissait la peau plus souvent qu’à son tour, tout ça pour ne pas même avoir de la viande sur sa table, le soir. Sans doute on avait sa pâtée quand même, on mangeait, mais si peu, juste de quoi souffrir sans crever, écrasé de dettes, poursuivi comme si l’on volait son pain. Quand arrivait le dimanche, on dormait de fatigue. Les seuls plaisirs, c’était de se soûler ou de faire un enfant à sa femme ; encore la bière vous engraissait trop le