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GERMINAL.

émoi pudique, fuyait, se coulait entre les draps, comme si elle avait senti les mains de ce garçon la saisir. Puis, la chandelle éteinte, ils comprenaient qu’ils ne s’endormaient pas, qu’ils songeaient l’un à l’autre, malgré leur fatigue. Cela les laissait inquiets et boudeurs tout le lendemain, car ils préféraient les soirs de tranquillité, où ils se mettaient à l’aise, en camarades.

Étienne ne se plaignait guère que de Jeanlin, qui dormait en chien de fusil. Alzire respirait d’un léger souffle, on retrouvait le matin Lénore et Henri aux bras l’un de l’autre, tels qu’on les avait couchés. Dans la maison noire, il n’y avait d’autre bruit que les ronflements de Maheu et de la Maheude, roulant à intervalles réguliers, comme des soufflets de forge. En somme, Étienne se trouvait mieux que chez Rasseneur, le lit n’était pas mauvais, et l’on changeait les draps une fois par mois. Il mangeait aussi de meilleure soupe, il souffrait seulement de la rareté de la viande. Mais tous en étaient là, il ne pouvait exiger, pour quarante-cinq francs de pension, d’avoir un lapin à chaque repas. Ces quarante-cinq francs aidaient la famille, on finissait par joindre les deux bouts, en laissant toujours de petites dettes en arrière ; et les Maheu se montraient reconnaissants envers leur logeur, son linge était lavé, raccommodé, ses boutons recousus, ses affaires mises en ordre ; enfin, il sentait autour de lui la propreté et les bons soins d’une femme.

Ce fut l’époque où Étienne entendit les idées qui bourdonnaient dans son crâne. Jusque-là, il n’avait eu que la révolte de l’instinct, au milieu de la sourde fermentation des camarades. Toutes sortes de questions confuses se posaient à lui : pourquoi la misère des uns ? pourquoi la richesse des autres ? pourquoi ceux-ci sous le talon de ceux-là, sans l’espoir de jamais prendre leur place ? Et sa première étape fut de comprendre son ignorance. Une honte secrète, un chagrin caché le rongèrent dès lors : il