Page:Zola - Germinal.djvu/168

Cette page a été validée par deux contributeurs.
168
LES ROUGON-MACQUART.

— Rasseneur ! appela Étienne. Apporte donc une chope.

Et, se retournant vers Maheu :

— Tu sais, c’est moi qui paie.

Maintenant, tous se tutoyaient. Rasseneur ne se pressait guère, il fallut l’appeler à trois reprises ; et ce fut madame Rasseneur qui apporta de la bière tiède. Le jeune homme avait baissé la voix pour se plaindre de la maison : des braves gens sans doute, des gens dont les idées étaient bonnes ; seulement, la bière ne valait rien, et des soupes exécrables ! Dix fois déjà, il aurait changé de pension, s’il n’avait pas reculé devant la course de Montsou. Un jour ou l’autre, il finirait par chercher au coron une famille.

— Bien sûr, répétait Maheu de sa voix lente, bien sûr, tu serais mieux dans une famille.

Mais des cris éclatèrent, Levaque avait abattu toutes les quilles d’un coup. Mouque et Bonnemort, le nez vers la terre, gardaient au milieu du tumulte un silence de profonde approbation. Et la joie d’un tel coup déborda en plaisanteries, surtout lorsque les joueurs aperçurent, par-dessus la haie, la face joyeuse de la Mouquette. Elle rôdait là depuis une heure, elle s’était enhardie à s’approcher, en entendant les rires.

— Comment ! tu es seule ? cria Levaque. Et tes amoureux ?

— Mes amoureux, je les ai remisés, répondit-elle avec une belle gaieté impudente. J’en cherche un.

Tous s’offrirent, la chauffèrent de gros mots. Elle refusait de la tête, riait plus fort, faisait la gentille. Son père, du reste, assistait à ce jeu, sans même quitter des yeux les quilles abattues.

— Va ! continua Levaque en jetant un regard vers Étienne, on se doute bien de celui que tu reluques, ma fille !… Faudra le prendre de force.

Étienne, alors, s’égaya. C’était en effet autour de lui