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LES ROUGON-MACQUART.

justement tombée la veille. Ils ne se souvenaient pas d’un pareil régal. Même à la dernière Sainte-Barbe, cette fête des mineurs où ils ne font rien de trois jours, le lapin n’avait pas été si gras ni si tendre. Aussi les dix paires de mâchoires, depuis la petite Estelle dont les dents commençaient à pousser, jusqu’au vieux Bonnemort en train de perdre les siennes, travaillaient d’un tel cœur, que les os eux-mêmes disparaissaient. C’était bon, la viande ; mais ils la digéraient mal, ils en voyaient trop rarement. Tout y passa, il ne resta qu’un morceau de bouilli pour le soir. On ajouterait des tartines, si l’on avait faim.

Ce fut Jeanlin qui disparut le premier. Bébert l’attendait, derrière l’école. Et ils rôdèrent longtemps, avant de débaucher Lydie, que la Brûlé voulait retenir près d’elle, décidée à ne pas sortir. Quand elle s’aperçut de la fuite de l’enfant, elle hurla, agita ses bras maigres, pendant que Pierron, ennuyé de ce tapage, s’en allait flâner tranquillement, d’un air de mari qui s’amuse sans remords, en sachant que sa femme, elle aussi, a du plaisir.

Le vieux Bonnemort partit ensuite, et Maheu se décida à prendre l’air, après avoir demandé à la Maheude si elle le rejoindrait, là-bas. Non, elle ne pouvait guère, c’était une vraie corvée, avec les petits ; peut-être que oui tout de même, elle réfléchirait, on se retrouverait toujours. Lorsqu’il fut dehors, il hésita, puis il entra chez les voisins, pour voir si Levaque était prêt. Mais il trouva Zacharie qui attendait Philomène ; et la Levaque venait d’entamer l’éternel sujet du mariage, criait qu’on se fichait d’elle, qu’elle aurait une dernière explication avec la Maheude. Était-ce une existence, de garder les enfants sans père de sa fille, lorsque celle-ci roulait avec son amoureux ? Philomène ayant tranquillement fini de mettre son bonnet, Zacharie l’emmena, en répétant que