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LES ROUGON-MACQUART.

service de nuit, si exact, que les chefs le citaient en exemple.

— Tu n’as donc jamais soif ? lui demandait Étienne en riant.

Et il répondait de sa voix douce, presque sans accent :

— J’ai soif quand je mange.

Son compagnon le plaisantait aussi sur les filles, jurait l’avoir vu avec une herscheuse dans les blés, du côté des Bas-de-Soie. Alors, il haussait les épaules, plein d’une indifférence tranquille. Une herscheuse, pourquoi faire ? La femme était pour lui un garçon, un camarade, quand elle avait la fraternité et le courage d’un homme. Autrement, à quoi bon se mettre au cœur une lâcheté possible ? Ni femme, ni ami, il ne voulait aucun lien, il était libre de son sang et du sang des autres.

Chaque soir, vers neuf heures, lorsque le cabaret se vidait, Étienne restait ainsi à causer avec Souvarine. Lui buvait sa bière à petits coups, le machineur fumait de continuelles cigarettes, dont le tabac avait, à la longue, roussi ses doigts minces. Ses yeux vagues de mystique suivaient la fumée au travers d’un rêve ; sa main gauche, pour s’occuper, tâtonnante et nerveuse, cherchait dans le vide ; et il finissait, d’habitude, par installer sur ses genoux un lapin familier, une grosse mère toujours pleine, qui vivait lâchée en liberté, dans la maison. Cette lapine, qu’il avait lui-même appelée Pologne, s’était mise à l’adorer, venait flairer son pantalon, se dressait, le grattait de ses pattes, jusqu’à ce qu’il l’eût prise comme un enfant. Puis, tassée contre lui, ses oreilles rabattues, elle fermait les yeux ; tandis que, sans se lasser, d’un geste de caresse inconscient, il passait la main sur la soie grise de son poil, l’air calmé par cette douceur tiède et vivante.

— Vous savez, dit un soir Étienne, j’ai reçu une lettre de Pluchart.