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LES ROUGON-MACQUART.

pièces de ruban bleu avec la rage d’un homme dont on se moque. Puis, les jeunes gens servis, il se planta sur la porte pour les regarder s’éloigner dans le crépuscule ; et, comme sa femme venait d’une voix timide lui demander un renseignement, il tomba sur elle, l’injuria, cria qu’il ferait se repentir un jour le sale monde qui manquait de reconnaissance, lorsque tous auraient dû être par terre, à lui lécher les pieds.

Sur la route, le grand Chaval accompagnait Catherine. Il marchait près d’elle, les bras ballants ; seulement, il la poussait de la hanche, il la conduisait, sans en avoir l’air. Elle s’aperçut tout d’un coup qu’il lui avait fait quitter le pavé et qu’ils s’engageaient ensemble dans l’étroit chemin de Réquillart. Mais elle n’eut pas le temps de se fâcher : déjà, il la tenait à la taille, il l’étourdissait d’une caresse de mots continue. Était-elle bête, d’avoir peur ! est-ce qu’il voulait du mal à un petit mignon comme elle, aussi douce que de la soie, si tendre qu’il l’aurait mangée ? Et il lui soufflait derrière l’oreille, dans le cou, il lui faisait passer un frisson sur toute la peau du corps. Elle, étouffée, ne trouvait rien à répondre. C’était vrai, qu’il semblait l’aimer. Le samedi soir, après avoir éteint la chandelle, elle s’était justement demandé ce qu’il arriverait, s’il la prenait ainsi ; puis, en s’endormant, elle avait rêvé qu’elle ne disait plus non, toute lâche de plaisir. Pourquoi donc, à la même idée, aujourd’hui, éprouvait-elle une répugnance et comme un regret ? Pendant qu’il lui chatouillait la nuque avec ses moustaches, si doucement, qu’elle en fermait les yeux, l’ombre d’un autre homme, du garçon entrevu le matin, passait dans le noir de ses paupières closes.

Brusquement, Catherine regarda autour d’elle. Chaval l’avait conduite dans les décombres de Réquillart, et elle eut un recul frissonnant devant les ténèbres du hangar effondré.