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GERMINAL.

d’en causer. À Réquillart, ils s’asseyaient sur une poutre, côte à côte, lâchaient un mot, puis partaient pour leurs revasseries, le nez vers la terre. Sans doute, ils redevenaient jeunes. Autour d’eux, des galants troussaient leurs amoureuses, des baisers et des rires chuchotaient, une odeur chaude de filles montait, dans la fraîcheur des herbes écrasées. C’était déjà derrière la fosse, quarante-trois ans plus tôt, que le père Bonnemort avait pris sa femme, une herscheuse si chétive, qu’il la posait sur une berline, pour l’embrasser à l’aise. Ah ! il y avait beau temps ! Et les deux vieux, branlant la tête, se quittaient enfin, souvent même sans se dire bonsoir.

Ce soir-là, toutefois, comme Étienne arrivait, le père Bonnemort, qui se levait de la poutre, pour retourner au coron, disait à Mouque :

— Bonne nuit, vieux !… Dis donc, tu as connu la Roussie ?

Mouque resta un instant muet, dodelina des épaules, puis, en rentrant dans sa maison :

— Bonne nuit, bonne nuit, vieux !

Étienne, à son tour, vint s’asseoir sur la poutre. Sa tristesse augmentait, sans qu’il sût pourquoi. Le vieil homme, dont il regardait disparaître le dos, lui rappelait son arrivée du matin, le flot de paroles que l’énervement du vent avait arrachées à ce silencieux. Que de misère ! et toutes ces filles, éreintées de fatigue, qui étaient encore assez bêtes, le soir, pour fabriquer des petits, de la chair à travail et à souffrance ! Jamais ça ne finirait, si elles s’emplissaient toujours de meurt-de-faim. Est-ce qu’elles n’auraient pas dû plutôt se boucher le ventre, serrer les cuisses, ainsi qu’à l’approche du malheur ? Peut-être ne remuait-il confusément ces idées moroses que dans l’ennui d’être seul, lorsque les autres, à cette heure, s’en allaient deux à deux prendre du plaisir. Le temps mou l’étouffait un peu, des gouttes de