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GERMINAL.

jamais tout ça chez lui ; et, au lieu de rentrer au coron, il était allé à Montsou, gardant Bébert pour faire le guet, poussant Lydie à sonner chez les bourgeois, où elle offrait les pissenlits. Il disait, expérimenté déjà, que les filles vendaient ce qu’elles voulaient. Dans l’ardeur du négoce, le tas entier y avait passé ; mais la gamine avait fait onze sous. Et, maintenant, les mains nettes, tous trois partageaient le gain.

— C’est injuste ! déclara Bébert. Faut diviser en trois… Si tu gardes sept sous, nous n’en aurons plus que deux chacun.

— De quoi, injuste ? répliqua Jeanlin furieux. J’en ai cueilli davantage, d’abord !

L’autre d’ordinaire se soumettait, avec une admiration craintive, une crédulité qui le rendait continuellement victime. Plus âgé et plus fort, il se laissait même gifler. Mais, cette fois, l’idée de tout cet argent l’excitait à la résistance.

— N’est-ce pas ? Lydie, il nous vole… S’il ne partage pas, nous le dirons à sa mère.

Du coup, Jeanlin lui mit le poing sous le nez.

— Répète un peu. C’est moi qui irai dire chez vous que vous avez vendu la salade à maman… Et puis, bougre de bête, est-ce que je puis diviser onze sous en trois ? essaie pour voir, toi qui es malin… Voilà chacun vos deux sous. Dépêchez-vous de les prendre ou je les recolle dans ma poche.

Dompté, Bébert accepta les deux sous. Lydie, tremblante, n’avait rien dit, car elle éprouvait, devant Jeanlin, une peur et une tendresse de petite femme battue. Comme il lui tendait les deux sous, elle avança la main avec un rire soumis. Mais il se ravisa brusquement.

— Hein ? qu’est-ce que tu vas fiche de tout ça ?… Ta mère te le chipera bien sûr, si tu ne sais pas le cacher… Vaut mieux que je te le garde. Quand tu auras besoin d’argent, tu m’en demanderas.