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GERMINAL.

Mais l’odeur de la viande avait fait lever les têtes de Lénore et d’Henri, qui s’amusaient par terre à dessiner des ruisseaux avec l’eau répandue. Tous deux vinrent se planter près du père, le petit en avant. Leurs yeux suivaient chaque morceau, le regardaient pleins d’espoir partir de l’assiette, et le voyaient d’un air consterné s’engouffrer dans la bouche. À la longue, le père remarqua le désir gourmand qui les pâlissait et leur mouillait les lèvres.

— Est-ce que les enfants en ont eu ? demanda-t-il.

Et, comme sa femme hésitait :

— Tu sais, je n’aime pas ces injustices. Ça m’ôte l’appétit, quand ils sont là, autour de moi, à mendier un morceau.

— Mais oui, ils en ont eu ! s’écria-t-elle, en colère. Ah bien ! si tu les écoutes, tu peux leur donner ta part et celle des autres, ils s’empliront jusqu’à crever… N’est-ce pas, Alzire, que nous avons tous mangé du fromage ?

— Bien sûr, maman, répondit la petite bossue, qui, dans ces circonstances-là, mentait avec un aplomb de grande personne.

Lénore et Henri restaient immobiles de saisissement, révoltés d’une pareille menterie, eux qu’on fouettait, s’ils ne disaient pas la vérité. Leurs petits cœurs se gonflaient, et ils avaient une grosse envie de protester, de dire qu’ils n’étaient pas là, eux, lorsque les autres en avaient mangé.

— Allez-vous-en donc ! répétait la mère, en les chassant à l’autre bout de la salle. Vous devriez rougir d’être toujours dans l’assiette de votre père. Et, s’il était le seul à en avoir, est-ce qu’il ne travaille pas, lui ? tandis que vous autres, tas de vauriens, vous ne savez encore que dépenser. Ah ! oui, et plus que vous n’êtes gros !